L’Union Européenne peut-elle promouvoir une finance plus soutenable ?

L’Union Européenne peut-elle promouvoir une finance plus soutenable ?

La construction européenne est coutumière de rapports d’experts de haut niveau. Certains ont marqué son histoire (Rapport Cecchini en 1988 sur les bénéfices du marché unique européen, le rapport Delors l’année suivante sur l’Union Economique et Monétaire ou celui de Jacques de Larosière sur la régulation financière en Europe de 2009). Beaucoup d’autres ont vécu ce que vit ce genre d’exercice, l’espace d’une conférence de presse…. Il est encore trop tôt pour savoir dans quelle catégorie tomberont les travaux du groupe d’experts à haut niveau mis en place par la Commission Européenne fin 2016 sur le « Financement d’une économie européenne soutenable ». Le rapport qu’il a rendu public en juillet dernier[1] n’est qu’une étape avant des conclusions et propositions définitives en fin d‘année. L’objet des lignes qui suivent n’est pas de le résumer[2] mais d’en évaluer la portée et les aspérités.

Disons d’emblée que « l’enfant se présente bien » car il s’ancre dans un diagnostic très solide sur le besoin impératif d’une finance soutenable au service d’un développement économique qui doit l’être beaucoup plus. Les caractéristiques d’une « meilleure finance » sont définies, les failles des pratiques actuelles qui déconnectent la finance de la société ne sont pas cachées. Deux phrases les résument clairement et avec force : « l’essentiel du système financier a un biais en faveur du court terme et d’une vision relativement étroite des risques financiers », « le problème essentiel de la soutenabilité est la « double compression » : celle du temps et celle du risque ».

La formule est heureuse et c’est au nom de cette vision holistique du fonctionnement du système financier que, logiquement, le groupe d’experts s’interroge sur les limites des définitions actuelles de la responsabilité fiduciaire des acteurs financiers vis-à-vis de leurs mandants et clients. Il a raison de souhaiter leur élargissement au-delà des devoirs de « loyauté et prudence » de manière à ce que les considérations liées à la soutenabilité soient aussi prises en compte dans les décisions prises par ces acteurs (i.e les externalités positives ou négatives diraient les économistes dans leur langage). Dans la même logique, le rapport n’esquive pas les questions que posent l’adaptation des règles de bonne gouvernance des institutions financières à ces enjeux de soutenabilité (acculturation et formation des administrateurs, prise en compte dans les structures de rémunération…). Ces sujets sont complexes et le rapport intérimaire est à ce stade prudent mais c’est, en particulier, aux avancées concrètes sur ces questions que l’on saura dans quelle catégorie évoquée plus haut, les décideurs politiques auront fait tomber ce travail qui a entre autres qualités, celle d’éviter le travers fréquent de l’exercice où décrire des process est jugé plus important que d’établir un diagnostic rigoureux.

Les réflexions du groupe, qu’elles se présentent comme des recommandations d’ores et déjà cristallisées ou comme des pistes pour ses débats du second semestre, peuvent être regroupées autour de trois grandes catégories :

  1. Les sujets de classification et de transparence renforcée : de quoi parle-t-on précisément quand on évoque des actifs financiers « soutenables », les green bonds sont-ils bien « verts » ? Comment assurer une convergence européenne des différents labels recouvrant ces actifs pour améliorer leur crédit ? …..

La question de la matérialité des impacts est au cœur de ces sujets. Pour convaincre, les investisseurs finaux (institutionnels ou particuliers) de l’intérêt de ces catégories d’actifs, il est crucial de fournir les instruments qui leur permettent de mesurer le plus objectivement possible ces impacts, en particulier en matière environnementale. En bref, « la marchandise doit correspondre à l’étiquette ». Le rapport invite à juste titre à une augmentation des efforts de recherche en la matière et à une forte implication de la société civile.

S’agissant du renforcement de la transparence des acteurs de la finance (et des émetteurs appartenant aux secteurs les plus impactés par la transition énergétique et environnementale), le groupe a pu facilement mettre ses pas dans ceux de la « Task-force on climate-related financial disclosure », dont les conclusions ont été soumises au G20 en juillet dernier. Ces nouvelles exigences seront très probablement reprises dans le droit européen.

  • Les sujets touchant à la mobilisation des outils financiers au service des politiques publiques de développement soutenable à travers, notamment, une plus forte crédibilisation des objectifs européens en matière de climat et d‘efficacité énergétique à horizon 2030, et 2050 de manière à mieux « ancrer » les anticipations des acteurs, la traduction de ces objectifs en plans d’investissement européens, la création d’une plate-forme de financement « Infrastructures Europe » au sein de la BEI…..

L’expérience montre que ces questions, classiques au sein de l’Union, d’optimisation des canaux de financement, ne trouvent de solution efficace que si les échelons européens et nationaux sont très précisément articulés dans leurs objectifs, leurs moyens et la prise de décision afin de résister aux risques fréquents d’une mise en œuvre très lente et de la justice distributive entre Etats membres dans l’allocation des financements.

  • De manière cohérente avec sa vision d’une finance soutenable, évoquée plus haut, le groupe n’a pas reculé devant les questions liées à la « tragédie des horizons » de la finance, suivant la formule devenue maintenant classique de Mark Carney, Gouverneur de la Banque d’Angleterre (il y a quatre-vingt ans, J.M Keynes critiquait déjà les « esprits animaux » des financiers…). Ces obstacles sont bien documentés par la recherche académique et l’expérience des praticiens. Ils concernent, en particulier, certaines règles comptables et prudentielles qui découragent la prise de risque qu’implique une véritable décision de long terme, la fréquence excessive du reporting financier imposé aux émetteurs, la « tyrannie » du benchmark, c’est-à-dire de la comparaison permanente de la performance des actifs gérés par rapport à celle instantanée du marché qui est l’un des facteurs de développement de la gestion financière dite passive.

La lecture du rapport sur ces points fait bien sentir qu’ils ont (et vont encore) donné lieu à des débats serrés au sein du groupe. Le consensus sera difficile à trouver et ce d’autant plus que ces sujets relèvent pas tous de la régulation mais en grande partie du comportement des acteurs eux-mêmes : ce sont bien souvent les investisseurs institutionnels qui, nonobstant des engagements de longue durée à leurs passifs, exigent de leurs gérants d’actifs des reporting très fréquents et s’inquiètent du moindre écart par rapport au benchmark encourageant, ce faisant, un comportement court-termiste ?!

Les comportements d’acteurs économiques évoluent lentement et souvent sous l’impulsion d’une prise de conscience liée, soit à une crise, soit à l’émergence de leaders qui démontrent que nouveaux modes de fonctionnement et performance opérationnelle sont compatibles.  Le groupe d’experts pourrait utilement s’interroger sur le rôle particulier que pourrait avoir, encore plus qu’aujourd’hui, les organismes publics (y compris les Etats) et ceux gérés par des partenaires sociaux pour promouvoir in concreto cette finance plus soutenable. Ces acteurs sont d’importants consommateurs de services financiers à l’échelle européenne. Leur gouvernance est naturellement sensible à ces préoccupations. Nul doute que dans les techniques de gestion ainsi que les critères de sélection de prestataires de services externes qu’ils utilisent, ils pourraient faire bouger les lignes en faveur d’une finance plus patiente.

Enfin, la réflexion du groupe pourrait aussi prendre en compte les enjeux très actuels du modèle d’affaires de l’intermédiation financière et de la chaîne d’investissement liés en grande partie au numérique : en termes simples, comment les algorithmes de gestion et autres robot advisors prendront-ils en compte les critères extra-financiers dans leurs décisions d’investissement ?

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Des esprits chagrins pourraient s’étonner du fait qu’il ait fallu dix années[3] après une crise majeure, pour se poser ces questions fondamentales sur la soutenabilité de la finance. Ils n’ont pas tort mais peu importe car le document bruxellois, sur lequel chacun peut réagir, offre la qualité d’analyse nécessaire pour réarticuler l’instrument -la finance – et ses finalités, c’est-à-dire le financement d’un développement soutenable tant dans sa consommation de ressources naturelles que dans le partage de ses fruits.

Antoine de Salins, directeur associé d’I Care & Consult

 

 

[1] https://ec.europa.eu/info/publications/170713-sustainable-finance-report_en

[2] Cf présentation très claire dans un document de Finance for Tomorrow : file:///C:/Users/Icaree/Downloads/Decryptage-HLEG_FinanceForTomorrow-Juillet2017.pdf

[3]Cinq ans après le remarquable rapport[3] de John Kay au Royaume-Uni qui plus est :http://www.ecgi.org/conferences/eu_actionplan2013/documents/kay_review_final_report.pdf

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