Risques climatiques : la pression croissante des régulateurs financiers

Risques climatiques : la pression croissante des régulateurs financiers

Il y a bientôt quatre ans, Mark Carney, Gouverneur de la Banque d’Angleterre frappait les esprits dans un discours devenu célèbre : “Breaking the tragedy of the horizon—climate change and financial stability”. Il y expliquait que “climate change is the Tragedy of the Horizon” et que “once climate change becomes a defining issue for financial stability, it may already be too late”.

Depuis lors, les régulateurs financiers, en particulier européens, n’ont eu de cesse de creuser ce sillon de de l’évaluation de ces risques climatiques et de leurs impacts sur le bilan des différentes catégories d’intermédiaires financiers ainsi que celui des outils à mobiliser pour améliorer la gestion de ces risques par chaque institution.  Ces derniers mois ont vu la publication de nombreux documents d’analyse par ces régulateurs [1] Nous en retirons quelques points saillants complétés par notre vision enrichie par les travaux que nous réalisons pour nos clients.

1- La définition des risques climatiques est claire. Il se divisent en trois catégories:

  • Le risque physique qui est lié à la hausse des températures (augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes climatiques et changements systémiques des conditions climatiques dans certaines zones géographiques). Les impacts potentiels sur la valeur des actifs peut être substantiel.
  • Le risque de transition est lié aux adaptations nécessaires pour basculer vers une économie bas carbone. Il se décompose lui-même en quatre types de risques [2] qui peuvent impacter la rentabilité de certains actifs.

Ces deux catégories de risques sont interdépendantes. En effet, la mise en en place de politiques publiques exigeantes en matière de décarbonation de l’économie va entrainer une augmentation des risques de transition à court terme et une diminution des risques physiques sur le long terme. A contrario, l’absence de politiques climatique n’entraine pas de risque de transition mais un fort risque physique sur le long terme.

 

  • Le risque de mise en cause de la responsabilité juridique de l’institution financière. Il est plutôt considéré comme un canal de transmission du risque de transition.

2- Le diagnostic des régulateurs peut se résumer de la manière suivante :

  • Le risque physique est encore considéré comme très peu matériel pour les institutions bancaires et relativement peu pour les compagnies d’assurance. Les raisons en sont les suivantes :
    • Une matérialité assez faible en cas d’un réchauffement en dessous de 2° ;
    • Une exposition géographique concentré dans des zones peu risquées (Europe) ;
    • Un portefeuille suffisamment diversifié pour encaisser les chocs à venir ;
    • La possibilité de couvrir le risque via l’assurance pour les banques ;
    • L’idée que l’augmentation des primes pourraient contrebalancer l’accroissement des pertes pour les assureurs.

Plusieurs méthodologies récentes permettent de mieux appréhender les risques physiques. Les plus raffinés croisent des données pays secteurs mais toutes les méthodologies actuelles manquent de données pour affiner les projections et de scénarios afin de nuancer les différents résultats.

  • Les travaux sur le risque de transition sont bien plus avancés. L’ACPR estime ainsi que : En moyenne 12% du portefeuille des banques sont exposés aux 20 secteurs les plus risqués. Cette exposition est légèrement en baisse depuis 2000 malgré un regain depuis 2015
  • L’origine du risque de transition est encore très mal identifiée par les institutions bancaires. Plusieurs méthodologies commencent à être appliqués par les institutions bancaires : mapping des secteurs les plus risqués, monitoring de l’empreinte carbone du portefeuille. Certaines institutions ont commencé à mettre en œuvre un coût interne du carbone pour leurs investissements.

3- L’agenda des régulateurs financiers afin d’accélérer l’alignement des acteurs financier avec l’accord de Paris a été clairement précisé par le NGFS (Network for Greening the Financial System). Il repose sur six axes:

  • Intégrer des risques liés au climat dans les ratios de supervision afin de contraindre les institutions à orienter leurs investissements vers des pratiques plus durables ;
  • Intégrer les facteurs de durabilité dans la gestion des portefeuilles ;
  • Remédier aux lacunes en termes de données ;
  • Renforcer la sensibilisation et les capacités d’analyse et encourager l’assistance technique et le partage des connaissances ;
  • Obtenir une information solide et cohérente sur le climat et l’environnement à l’échelle internationale ;
  • Soutenir le développement d’une taxonomie des activités économiques.

Les deux premiers axes pourraient bien devenir dans un prochain temps des obligations légales imposés par les régulateurs aux institutions financières. Les quatre suivantes ont donné et continueront à donner lieu à des groupes de travail et de réflexion.

4- Face à cet agenda particulièrement ambitieux, le besoin de métriques robustes permettant d’évaluer les risques climatiques pesant sur les le bilan des intermédiaires financiers est une priorité collective. L’élaboration de ces métriques se heurte à trois types de difficultés récurrentes auxquelles il faut trouver des réponses pragmatiques :

  • Celles qui sont inhérentes à la construction de la métrique, qu’il s’agisse du choix entre une ou plusieurs métriques pour évaluer l’atteinte d’objectifs de nature différente ou de celles liées à la stabilité de la méthode : les connaissances globales sur les risques étant amené à évoluer, il faut faire un arbitrage entre une métrique statique , pertinente à un instant du temps car elle offre une « photographie » du risque et une métrique dynamique, « film » qui cherche à suivre les risques au cours du temps.
  • Les difficultés liées à l’accessibilité et la qualité des données: il y a naturellement un arbitrage entre pertinence qui pousse souvent à la complexité, et simplicité. Les problématiques de coût interviennent aussi dans cet arbitrage.
  • Les difficultés liées à la couverture des univers d’investissement. Chacune des métriques développées n’est pas forcément adaptée à tous les secteurs. Ainsi, l’intensité carbone du nucléaire est proche de zéro, bien qu’il y ait des enjeux environnementaux et de régulations cruciales concernant cette activité se et que ces enjeux peuvent peser sur la valorisation des actifs financiers Un arbitrage doit parfois être fait entre la couverture et la pertinence des métriques. Le développement de métrique sectorielle bien que plus lourd à mettre en œuvre permet de capter chacun des enjeux.

5- Une fois les risques climatiques mesurés, il faut en mesurer l’impact sur la performance financière, ce qui ne va pas sans difficultés.

  • Les modèles financiers actuels et les risques climatiques se manifestent sur des horizons de temps qui ne permettent pas d’utiliser les outils actuels qui se base sur des prévisions à 2-3 ans puis prennent un taux de croissance constant.
  • De même, les évènements à venir ne s’étant manifestés que sur des horizons de temps très court ou n’étant pas intervenus, il n’est pas possible de s’appuyer sur des historiques longs afin d’en tirer des lois empiriques.
  • Il faut utiliser une approche prospective afin de pallier à ces difficultés. Devant le grand nombre de scénarii existant, il faut en choisir quelques un qui semble les plus pertinents ou les plus marquants (par exemple : scénario 4°, politiques actuelles, scénario 1,5°).
  • Plusieurs modèles assez robustes existent pour l’aspect économique de l’impact des changements climatiques, ces derniers sont utilisés comme aide à la mise en œuvre de politiques publiques. A contrario, aucune méthodologie ne s’est imposée sur l’impact sur la performance financière.
  • Enfin, les variables financières de sortie (VaR, CVaR, Spread, risque de défaut, Volatilité, …) sont aussi clés lors de la définition de la méthodologie. Ces dernières vont fortement orienter la construction de la méthodologie.

6- Face à ces difficultés et au vu à la fois des solutions que nous avons mis en place dans nos modèles d’analyse et des résultats produits sur des portefeuilles réels de nos clients, nous partageons les éléments de réflexion suivants ;

  • Les outils utilisés doivent se fonder sur des scénarios climatiques reconnus pour modéliser l’impact sur les secteurs les plus affectés par les changements climatiques, ainsi que sur un modèle macro-économique pour évaluer l’impact global sur toute l’économie ;
  • Il est important de comprendre la nature du stress climat : il s’agit d’un choc de « destruction-création » de capital dans l’économie. Cette nature ambivalente du stress climatique conduit logiquement à des queues de distribution des risques très épaisses. L’impact financier est un solde net d’impacts négatifs mais aussi positifs ;
  • L’importance de la dimension sectorielle dans la réflexion. La modélisation doit être capable de capter une granularité fine de décomposition sectorielle de manière à appréhender de manière plus précise les impacts ;
  • Utiliser la décomposition de l’activité de l’émetteur sur des zones géographiques homogènes en risque et sur le plan sectoriel permet d’obtenir un risque qualitatif de l’émetteur.
  • Le recours à des modèles quantitatifs travaillant sur des secteurs, pour nécessaire qu’il soit, ne doit pas faire perdre de vue l’importance des indicateurs de mesure de la performance environnementale au niveau de l’entreprise (NEC, alignement 2°C…). C’est l’utilisation des deux types d’indicateurs « top-down » et « bottom-up » qui pourra éclairer la décision d’investissement ou de financement.
  • L’ampleur et la matérialité du risque est telle que son suivi et sa gestion auront, comme Solvabilité 2, des impacts sur la relation « agent-principal » entre le propriétaire des actifs et son(ses) gérant(s) externes.

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Il est certain que dans les années qui viennent, l’évaluation des risques climatiques et de leurs impacts sur le bilan des intermédiaires financiers (à l’actif mais aussi au passif pour les assureurs) feront partie intégrante des modèles prudentiels. Nous sommes au début de ce processus complexe. La qualité de la collaboration entre les institutions financières et leurs régulateurs sera cruciale pour résoudre les nombreuses questions que cela pose.

Benoît Maréchal

 

[1]  Les groupes bancaires français face au risque climatique Banque de France-Les assureurs français face au risque de changement climatique Banque de France- An energy transition risk stress test for the financial system of Netherlands De Nederlandse Bank- A call for action : Climate change as a source of financial risk NGFS- Enhancing banks’ and insurers’ approaches to managing the financial risks from climate change Prudential Regulatory Authority- TCFD Report : Final Recommendations TCFD

[2] Politiques et légaux (augmentation du prix du carbone, quotas d’émissions, …)- Technologiques (substitution des produits existants par des produits moins carbonés) – Marché (augmentation des coûts, instabilité des marchés financiers …)- Réputation (changement de préférence des consommateurs, …)

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