Insight | 10 M€ par semestre à l’encontre de l’État pour réduire la pollution de l’air : une astreinte « historique ». Oui, mais en quel sens ?

Insight | 10 M€ par semestre à l’encontre de l’État pour réduire la pollution de l’air : une astreinte « historique ». Oui, mais en quel sens ?

©Conseil d’Etat (10 juillet 2020)

Une astreinte inédite sur le plan juridique

Le Conseil d’Etat a pris en ce début de mois une décision « historique » en matière de pollution de l’air : 10 millions d’€ d’astreinte financière à payer par le gouvernement par semestre en l’absence de résultat dans la réduction des niveaux de pollution d’ici 6 mois. Cette pression imposée par le Conseil d’Etat fait suite à plus de dix années de dépassements systématiques des normes européennes dans certaines villes françaises (1). L’association Les Amis de la Terre qui avait déjà saisi le Conseil d’Etat en 2017 (2) et obtenu gain de cause face au gouvernement se félicite de cette récente décision en réponse au recours déposé en octobre 2018. En effet, le montant est le plus élevé jamais retenu par une juridiction administrative de l’Etat : en ce sens, on peut légitimement parler de « tournant historique ».

Une astreinte proportionnée aux enjeux sanitaires et économiques ?

Etonnement, le montant de cette astreinte n’a pas été mis dans la presse en perspective avec le coût de l’inaction face à la pollution atmosphérique, pourtant bien connu depuis plusieurs années. La dernière estimation du coût économique annuel de la pollution de l’air en France a été réalisée en 2015 par une Commission du Sénat chiffrant à 101,3 milliards d’euros annuel le coût annuel de l’inaction (3).

Une astreinte annuelle de 20 millions d’euros pour le gouvernement vs un coût de l’inaction annuel de 101 milliards d’euros… Cette astreinte représente donc bien moins de 1% (0,02%) du coût de l’inaction : si les dommages persistent, pour ~54 000 euros payés par jour d’astreinte, les coûts de l’inaction s’élèvent eux à ~276 millions par jour.

Prendre la mesure du coût social, sanitaire et économique de l’inaction face à la pollution atmosphérique est la première étape pour allouer des moyens à la hauteur de l’enjeu. Si une astreinte a la vertu d’avoir un effet grandement symbolique, c’est bien l’action qui est avant tout nécessaire et à tous les points de vue (social, sanitaire, économique, symbolique).

Pour en savoir plus sur les modalités d’application de la décision du Conseil d’Etat : la décision du Conseil d’Etat ainsi que le communiqué de presse.

**

(1) 8 zones administratives de surveillance sont ciblées au niveau national.

(2) CE, 12 juillet 2017, n°394254, décision contentieuse publié au recueil Lebon.

(3) Sénat, 8 juillet 2015, Rapport n° 610 (2014-2015) de Mme Leila AÏCHI, fait au nom de la CE coût économique et financier de la pollution de l’air. (Cette somme inclut les dommages sanitaires de la pollution, ainsi que ses conséquences sur les bâtiments, les écosystèmes, l’agriculture et la santé. Par ailleurs il faut avoir en tête que les relations concentration-risque ont depuis évolué tenant compte d’effets sanitaires jusque-là considérés non exhaustivement (notamment cardio-vasculaires, actualisés dans des modèles du GEMM estimant non plus à 48 000 mais à 67 000 morts prématurés en France par exemple (Burnett et al. (2018) ; Lelieveld et al (2019)). Cela reviendrait à considérer un coût encore supérieur aujourd’hui à celui chiffré en 2015.)

Menu Principal